Publications
Marc Strauss,
Le capitalisme traumatisant
Paris, Stage du CCPP sur le psychanalyste et les sujets "traumatisés", 23.09.2017
Le capitalisme traumatisant
Stage du Collège de Clinique psychanalytique de Paris, organisé par Colette Soler et Sol Aparicio sur le thème : « Le psychanalyste et les sujets « traumatisés »
23 septembre 2017
Nous avons parlé jeudi avec Colette Soler de la façon dont le sujet était accueilli dans l’existence, par l’Autre que nous disons maternel. Mais il doit être aussi accueilli dans le monde, dans le corps social, nous disons dans le discours ; la « dématernalisation » de lalangue doit être pour le sujet supportable. Alors, quel statut lui est-il fait ?
Rappelons rapidement sa place dans les quatre discours tels que les a écrits Lacan :
Dans le Discours du maître, le sujet est du côté du maître, mais inaccessible du fait de la position d’agent qu’il semble occuper en se faisant représentant par un signifiant qui lui représente l’unité. À ce prix, chacun trouve à se placer, à placer son corps dans le ballet social, jusqu’au seuil de la chambre à coucher au moins, c’est à dire aussi dans les relations hommes-femmes. Ce qui se passe dans la chambre est une autre affaire.
Dans le discours hystérique, il est en position d’agent, mais n’a à proposer que son évanescence insurrectionnelle, ce qui le met à la merci des tenant de l’ordre, dont le premier souci est bien sûr de le bâillonner.
Dans le discours universitaire, il est produit, et il ne peut que crier sa révolte de ne pas être pour autant agent de quoi que ce soit.
Dans le discours analytique, on lui donne la parole, ce qui lui permet de se dire, au moins comme question, jusqu’à se réduire à cette question.
Bref, la civilisation, l’ordre des discours pour nous, assigne et par là assure au sujet un partenaire, et détermine leurs places respectives. Ca permet des représentations satisfaisantes de la jouissance « dématernalisée ». La danse par exemple, Lacan l’a précisé, est un art qui fleurit quand les discours sont en place. Mais cet ordre a bien sûr aussi un coût en termes de souffrance. Ces dernières tiennent essentiellement à l’émoussement des plaisirs au regard du poids de réel de la trace de jouissance. Trop civilisés, les plaisirs perdent leur sel, le sel de la vie.
Aucun de ces discours donc n’évite le troumatisme, mais il lui donne une représentation qui permet d’y loger les événements de sa vie, et de se mettre à leur pas. Quelques fois on trébuche, on commet un lapsus, plus ou moins grave, mais il a fallu le discours analytique pour fonder sur ce ratage un nouveau discours, analytique. Du coup la ronde des discours est dit complétée pour Lacan.
L’ennui, c’est que l’arrivée du discours analytique s’est faite trop tard, comme toujours. Enfin, nous considérons que c’est un ennui, si nous entretenons l’illusion qu’une ronde peut se fermer, que le compte peut y être. Or, c’est justement parce qu’on y était déjà plus que le discours analytique a été inventé par Freud. Il réunissait en sa personne, en son corps, tous les paradoxes de son époque, une époque où les discours étaient mis à mal par le nouveau venu, le discours du capitaliste, ou de la science, ou du marché – Lacan lui a donné différents noms.
Le discours du capitaliste, nous pouvons discuter de son appellation de discours au sens strict. En effet, il ne s’introduit pas dans la ronde, mais s’y oppose et la défait. Et comme il ne comporte pas d’impossibilité qui fait limite, il a la particularité ne pas déterminer de partenaire avec lequel mettre en scène ses représentations. Nous le savons, Lacan a défini le sujet contemporain comme prolétaire, et défini le prolétaire comme celui qui n’a que son corps pour le représenter. Son corps devient du coup son seul partenaire, ce qui est implicite au joli néologisme proposé par Colette Soler pour définir la maladie du sujet contemporain : le « narcynisme ».
Lacan en 1967 le reconnaît dans le slogan qui fleurira sur les campus l’année d’après : « Ton corps t’appartient. », cela dans son allocution de clôture aux journées sur l’enfance aliénée. Il y fait le lien entre son élaboration théorique de l’objet a et une issue à trouver aux problèmes de l’époque. « …à fuir ces allées théoriques, rien ne saurait qu’apparaître en impasse des problèmes posés à l’époque. » C’est encore et toujours notre problème, comment ne pas apparaître en impasse… Autrement dit, que dire, que faire face aux manifestations toujours plus incompréhensibles du malaise contemporain ?
Suivons donc Lacan qui énumère ces problèmes avec une clairvoyance hallucinante dans ce qui est une démonstration de la puissance de la boussole structurale, puisque ce sont exactement ceux qui font aujourd’hui assez problème au collectif pour qu’il en appelle au législateur. Législateur qui n’en peut mais, qui n’a pas plus de réponse que les autres et qui du coup fait appel aux comités d’éthique. Comités dont nous avons de la chance si la question de la présence de psychanalystes est seulement posée. Il est vrai que pour qu’elle soit posée, il faudrait que le psychanalyste sache se retrouver dans la façon de circuler dans ces impasses. Et quand on entend les positions des uns et des autres sur le mariage pour tous par exemple, ça n’aide pas donner l’idée d’une boussole fiable.
Ainsi, poursuivons la lecture : « Problèmes du droit à la naissance d’une part- mais aussi dans la lancée du : ton corps est à toi *, où se vulgarise au début du siècle un adage du libéralisme, la question de savoir, si du fait de l’ignorance où ce corps est tenu par le sujet de la science, on va venir en droit, ce corps, à le détailler pour l’échange. (…). En épinglerons-nous du terme de l’enfant généralisé, la conséquence ? »(10)
Première surprise, ce « Ton corps est à toi » Lacan en fait l’adage du libéralisme, ce qui est bien loin d’une idéologie libertaire libératrice. Le corps libéral précise-t-il, s’est vulgarisé, donc s’est fait collectif, au début du XXème siècle, donc au moment où le DC étendait son malaise sur le monde. Une fois de plus, avec un sens aigu de l’histoire, Lacan situe dans le temps l’apparition d’un changement dans le statut du sujet, et par là du traitement des corps. Et celui qui l’a énoncé est Victor Marguerite, dans un de ses livres : « Ton corps est à toi ». Un personnage qui n’est pas n’importe qui, ce Victor Marguerite, ça vaut la peine d’en dire quelques mots, merci Wikipedia.
Alors, en l’absence de partenaire, ton corps t’appartient, certes, mais pour en faire quoi? Comment, avec qui représenter les scènes qui amènent aux décharges bienheureuses du principe du plaisir ? À quelle demande de l’autre, qui met en forme le désir, raccorder le troumatisme et sa trace de jouissance, avec qui en faire métonymie dans le fantasme ? Avec corps prolétaire, le troumatisé n’a affaire qu’à un autre troumatisé, et il ne peut qu’en être affolé, sans boussole, Lacan parle d’égarement.
Et aujourd’hui donc nous y sommes à plein.
Avec le droit à la naissance : Du côté de la régression, le combat pour la liberté de l’avortement est loin d’être gagné, et du côté du progrès, nous avons la PMA et la GPA.
Le transsexualisme y ajoute de nouvelles questions, comme le cas de cet homme transsexuel qui après avoir été opéré pour devenir une femme, a fécondé sa femme grâce aux spermatozoïdes préalablement congelés, et qui veut être reconnu comme père légal. Certains appellent cela la post-création, reprise à la post-humanité de Fukuyama.
Et pour le corps comme objet d’échange marchand, nous avons pu lire dans Le Monde daté du 4 septembre un long article à propos des prélèvements de reins sur les migrants en Égypte, auxquels participent nécessairement non seulement des médecins, mais toute une chaîne médicale.
Nous avons aussi l’homme augmenté qui pointe son nez, et tout le monde ne pourra sûrement pas se l’offrir… ce qui va poser des problèmes tout à fait nouveaux aussi.
Nous y sommes à plein aussi avec le durcissement des procès de ségrégation qu’annonçait Lacan.
Nous savons tout cela, mais qu’y peut la psychanalyse ?
Elle sait une chose, que les discours savaient aussi sans le dire mais en y parant, elle sait que transexuel ou non, le père rate. Il a toujours échoué à veiller sur son fils et à lui épargner le feu de la jouissance, celle qui porte l’inconscient, mais aujourd’hui cet échec est mis à nu. Or, ce feu, la psychanalyse sait le reconnaître et situer dans la structure, et peut-être la psychanalyse lacanienne, avec son maniement de lalangue est-elle la réponse adéquate à l’égarement des jouissance dans le supermarché des semblants. Il me semble que nous pouvons dire que nous sommes à l’époque du père mis à nu, et je me retiens de parler de la proportion des hommes dans cette salle, «3,5%, et de la nudité de Noé, qui s’est endormi après s’être enivré, adonné à sa soif de son manque à jouir. Pourtant, parler d’enfance généralisée comme le fait Lacan, n’est ce pas une autre façon de dire que nous somme tous des Cham, qui ne peuvent que rire bêtement entre deux horreurs intraitables, comme nous en donne le modèle tous les jours notre chère télévision. Il n’est pas dit pour autant que nous allions au déluge, puisque Dieu a promis à Noé, avant même cette histoire d’ivresse, qu’il n’y aurait plus de déluge. D’ailleurs, vous serez d’accord avec moi, la psychanalyse est bien plus amusante que la télévision, parce qu’en plus elle prend la jouissance par le biais du sérieux, qui veut dire en lacanien la série.
* Wikipedia : Ton corps est à toi, livre de Victor Margueritte, de 1926
Né à Blida (Algérie française) le 1er décembre 1866 et mort à Monestier (Allier) le 23 mars 1942, est un romancier et auteur dramatique français.
Fils d’un héros de la guerre de 1870, Jean-Auguste Margueritte, frère de l’écrivain Paul Margueritteet petit-cousin par sa mère de Stéphane Mallarmé1, il fit ses études au lycée d’Alger. Il s’engagea en 1886 dans les Spahis, avant d’entrer en 1891 à l’École militaire de Saumur où il devint lieutenant de dragons. En 1896, il donna sa démission pour se consacrer à la littérature2.
Il se montra préoccupé des questions sociales et fut un ardent défenseur de l’émancipation de la femme[réf. nécessaire]ainsi que du rapprochement des peuples. …Il soutint des opinions sociales de plus en plus avancées et collabora aux journaux et périodiques dans la mouvance internationale et communiste.
La publication en 1922 de son roman virulent La Garçonne lui valut de se voir retirer le 1er janvier 1923 sa Légion d’honneur et il en fut fortement affecté.
Fervent pacifiste, Victor Margueritte collabora avec l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale au nom de la paix […].